Le trésor caché derrière un mur
(The treasure behind the wall By Vanessa Friedman)
Quelque chose dans la nouvelle boutique ‘Oscar de La Renta’ à Paris était bien différent des apparences.
La peinture à l’huile 17ème découverte derrière un mur lors de l’aménagement de la boutique Oscar de la Renta à Paris.
Crédit photo Julien Mignot pour The New York Times
Alex Bolen, le directeur général d’Oscar de la Renta, avait prévu d’ouvrir sa nouvelle boutique à Paris cette semaine, juste à temps pour la « Fashion Week ». Il avait planifié sa présence à Paris même s’il n’avait pas programmé de défilé. Il avait tout organisé. Puis, l’été dernier, en plein milieu des rénovations, Mr Bolen reçut un appel de Nathalie Ryan, son architecte.
Il se souvient qu’elle lui a dit : “Nous avons fait une découverte”. À l’autre bout du fil, Mr. Bolen grimaça. La dernière fois qu’il avait reçu un appel de ce genre pour une boutique, leur plan consistant à déplacer un mur avait dû être abandonné à la dernière minute de peur que l’immeuble ne s’effondre. Il demanda alors de quelle découverte il s’agissait précisément.
“Vous devez venir voir,” lui dit-elle.
Alors, en ronchonnant, il prit un vol au départ de New York. Ms. Ryan l’emmena à ce qui devait être le premier étage de la boutique, où les ouvriers débarrassaient activement les détritus et, d’un geste, désigna le fond de la pièce. Mr. Bolen, dit-elle, cligna des yeux. Puis il dit: “Non, ce n’est pas vrai!”
Quelque chose avait été caché derrière la paroi et il ne s’agissait pas d’amiante. C’était la peinture à l’huile, de 3 mètres par 6, d’un marquis vêtu d’une tenue 17ème, portant une coiffe tarabiscotée, accompagné de plusieurs courtisans et entrant dans la ville de Jérusalem.
“C’est très rare et exceptionnel pour de nombreuses raisons; à savoir, sa qualité historique, son esthétisme et son format” dit Benoît Janson, spécialiste de la restauration de l’atelier Nouvelle Tendance, supervisant le travail réalisé sur l’œuvre.
Les rénovations de boutiques, comme la plupart des rénovations, prennent souvent plus de temps que prévu et les budgets sont souvent dépassés. Mais rares sont les cas où celles-ci sont retardées ou dont le budget est dépassé à cause d’une mystérieuse œuvre d’art, refaisant surface après trois cents ans.
Tous aux armes pour la course à la boutique la plus unique, la plus authentique, toujours en cours d’élaboration, pour vivre en personne, une expérience de différenciation entre le commerce de détail et le ‘e-commerce’, la découverte d’un trésor entouré de mystère, tout droit sorti d’une nouvelle de Dan Brown, dont il serait l’accessoire ultime.
Méfiez-vous de vos désirs
Mr. Bolen cherchait depuis longtemps un magasin à Paris. Au début des années 90, quand Mr de la Renta travaillait en tant que couturier chez Balmain, la société y avait une petite boutique mais cette boutique avait fermé peu après son départ en 2002 (il est décédé en 2014). En 2017, l’ancien magasin Reed Krakoff, situé rue de Marignan, (une petite rue, en diagonale de l’avenue Montaigne) qui débouche sur “L’Avenue”, le haut-lieu de la mode, était proposé à Mr. Bolen.
L’emplacement plaisait à Mr Bolen et l’immeuble, qui avait été construit au 19eme, appartenait en grande partie à une même famille, dont un certain nombre de ses membres occupaient les appartements des étages supérieurs. Cependant, il voulait une surface plus grande, et lorsque l’espace de bureaux qui occupaient la totalité du premier étage se libéra, il saisit l’occasion.
“C’était plutôt dénué de charme” dit-il. Un ancien cabinet de courtage en assurances, il y avait un faux plafond avec des lumières fluorescentes, des panneaux de particules recouvrant les murs, et des revêtements de sol industriels, dans un dédale de bureaux. “Nous savions que nous devrions tout enlever”, dit Mr Bolen. L’idée était de relier les deux niveaux par un escalier d’honneur. Le rez-de-chaussée et une partie du premier étage feraient office de boutique, et la pièce du fond servirait de salle d’exposition ou d’espace évènementiel avec d’autres espaces pour les bureaux et le stockage.
Conçu par Jeang Kim et Will Kim, d’Oro Studio, l’intérieur donnerait plus l’impression d’entrer chez des “jeunes venant juste d’emménager dans l’appartement grandiose de leur grand-mère” que dans un grand écrin tout blanc, selon Ms. Kim (qui est aussi la sœur de la co-directrice artistique d’Oscar de la Renta, Laura Kim, bien que n’ayant aucun lien de parenté avec Mr. Kim).
Crédit photo Julien Mignot pour The New York Times
Benoît Janson, spécialiste de la restauration, travaillant sur la peinture.
Crédit photo Julien Mignot pour The New York Times
La fin de la restauration est prévue pour mai.
Peu après le début de la démolition, une découverte a été faite. Un ouvrier, démontant le faux plafond dans la dernière pièce au premier étage, dit avoir vu quelque chose “d’étrange”.
Il s’agirait d’un plafond à caissons, sous celui qui était visible, composé de 29 caissons carrés, dont huit peints avec différents blasons et un losange central. Datant du milieu du 19ème, ceux-ci étaient bien conservés car ils étaient encastrés dans le plafond à caissons. Pourtant, bien qu’il s’agisse d’une découverte intéressante, ce n’était pas une première pour un immeuble de cette époque. C’est lorsque les ouvriers commencèrent à retirer les panneaux de particules sur le côté et qu’un morceau du mur se détacha, que les choses devinrent intéressantes.
“Oh ! mon Dieu, c’était — wow,” dit Ms. Ryan qui fut l’architecte d’intérieur de Dior pendant plusieurs années et qui a monté sa propre entreprise, Kirei Studio, en 2010. Derrière le mur, une seule peinture, assombrie par le temps, d’un bout à l’autre du panneau. “Parfois lorsque vous travaillez pour des châteaux, vous trouvez des choses, mais souvent il s’agit d’une cheminée cachée, ou en Italie, peut-être d’une fresque” dit Ms. Ryan. “Mais dans un appartement? Dans une boutique? Elle n’avait jamais rien vu de tel.
“Tout le monde a paniqué,” dit Ms. Kim. “C’était comme découvrir une momie. J’ai aussitôt éteint mon téléphone et regardé. Rien de tel ne m’était arrivé dans mon travail auparavant “.
La démolition fut interrompue pour comprendre ce qu’était cette peinture et comment elle s’était retrouvée dans ce qui allait être une boutique. Voyant les aristocrates à cheval et la mosquée sur le tableau, Mr Bolen raconte que des visions de croisés et de Templiers se mirent à danser dans sa tête. “Je pense que j’ai vu trop de films” dit-il.
L’énigme
Dans la théorie des six degrés de séparation, c’en était une bonne : la belle-mère de Mr. Bolen, Annette de la Renta, avait un cousin (par sa mère, Jane Engelhard) qui avait épousé une La Rochefoucauld, descendante de cette illustre famille de l’aristocratie française. Il s’avéra qu’un des membres de cette famille vivait de l’autre côté de la rue de la future boutique de la Renta.
Donc, lorsque la peinture fut découverte et qu’il devint clair que Mr. Bolen devrait parler aux propriétaires de l’immeuble qu’il n’avait jamais rencontrés, (le bail avait été négocié par un agent immobilier), son parent put faire les présentations. Il fut recommandé à un autre La Rochefoucauld, qui travaillait au Louvre, de se mettre en contact avec un historien d’art : Stéphane Pinta, du Cabinet Turquin, expert en anciens maîtres de la peinture. Mr. Pinta établit qu’il s’agissait d’une peinture à l’huile réalisée en 1674 par Arnould de Vuez, un peintre ayant travaillé avec Charles Le Brun, le premier peintre de Louis XIV et décorateur d’intérieur du Château de Versailles. Après avoir travaillé avec Le Brun, Arnould de Vuez, connu pour son implication dans les duels d’honneur, avait été forcé de quitter la France et contraint à se réfugier à Constantinople.
Mr. Pinta retrouva le tableau dans une plaque qui avait été reproduite dans un livre des années 1900 “Odyssée d’un ambassadeur : Les voyages du marquis de Nointel, 1670-1680” d’Albert Vandal, qui racontait l’histoire des voyages de Charles-Marie-François Olier, marquis de Nointel et d’Angervilliers, ambassadeur de Louis XIV à la cour ottomane. À la Page 129, apparaît une héliogravure de l’œuvre représentant l’arrivée en grande pompe du marquis de Nointel à Jérusalem, celle de la peinture du mur.
Mais personne ne savait comment celle-ci avait fini collée sur ce mur, ni pourquoi elle avait été recouverte. Certaines hypothèses pourraient laisser croire que cela s’est passé au cours de la Deuxième Guerre Mondiale, étant donné la situation. Ce pourrait être un genre de “brouillard de guerre” dit Mr. Bolen.
Ce que tout le monde savait, c’est qu’il serait dangereux de déplacer l’œuvre à cause de la manière dont celle-ci avait été attachée au mur: doublée d’une gaze sur laquelle elle avait été collée. Et Mr Bolen, raconte que sa femme Eliza l’avait averti “Si tu bouges cette peinture, tu auras 100 ans de malheur”. Il s’est dit qu’elle avait probablement raison.
Le prochain mystère
Cela étant, Mr. Bolen parvint à un accord avec les propriétaires de l’immeuble: il prendrait à sa charge la restauration de l’œuvre s’ils acceptaient qu’elle demeurât dans la boutique pendant le temps où il en serait locataire (le bail initial était de 10 ans). Mr. Janson se mit au travail fin novembre.
“L’œuvre était très sombre à cause du vernis et des anciens repeints (d’anciennes restaurations) qui la recouvraient”, dit Mr. Janson.
Equipe de restaurateurs passant un tampon sur le vernis pour retrouver les couleurs d’origine
Crédit photo Julien Mignot pour The New York Times
Pendant les deux derniers mois, des équipes de trois à cinq personnes, ont soigneusement dégagé une partie du vernis afin de retrouver les couleurs d’origine. Ils espèrent en avoir terminé d’ici le mois de mai, dit Mr Janson, bien que Mr. Bolen pense que le travail sera fini avant. Petit à petit, les détails confirmant la provenance de la peinture, ont commencé à apparaître: la mosquée, le mur occidental (mur des lamentations), le brocart sophistiqué du visiteur français.
Après cette découverte, il fallut repenser l’intérieur et procéder à des changements pratiques. Ms. Kim fréquenta les salles de ventes pour acquérir des meubles de différentes époques liant le passé au présent, y compris des chaises de Marcel Breuer et des pièces des collections de Pierre Bergé.
“Nous n’allons pas mettre un mur de vêtements devant “dit Ms. Ryan. La sécurité sera renforcée et les dix fenêtres du premier étage, qui vont du sol au plafond, seront équipées et traitées. L’objectif est d’ouvrir avant l’été.
Entre temps, Mr. Bolen n’a pas abandonné ses recherches. “Je dois trouver un expert en héraldique pour examiner le plafond” dit-il, passant au crible les photographies et pointant quelques blasons. “Celui-ci a trois étoiles, une couronne royale — et un poisson?”
Il en regarda un autre. “Que signifient ces trois étoiles?” se demandait-il. “Je ne sais pas. Mais je pense que cela mériterait qu’on le sache.” Il avait l’air tout excité.
Les clients ayant un fort penchant pour les théories conspirationnistes et un goût pour l’histoire pourraient l’être tout autant.
Cliquez ici pour voir l’article original du journal le New York Times.