Soundslikeportraits.com : Benoit Janson, restaurateur d’art à Paris

Benoit Janson, restaurateur : comment restaurer les œuvres sans trahir les artistes ?

Benoit Janson restaurateur d’art à Paris.

Son nom et sa profession ont reçu un coup de projecteur médiatique lors des travaux de la boutique parisienne d’Oscar de la Renta en 2019 près des Champs Elysées. Il faut dire que l’histoire est extraordinaire : derrière un mur, un tableau du XVIIesiècle de six mètres sur trois a été découvert, que Benoit a été chargé de restaurer.   

Et justement, devant une oeuvre endommagée, son œil travaille comme des rayons X. Il s’enfonce sous la surface peinte pour décrypter ce qui n’est pas visible et envisager la réparation appropriée.

Lui qui a restauré les tableaux et les sculptures des plus grands artistes, du 16esiècle à nos jours, m’a aussi raconté quelques-uns des plus grands moments de ses 40 ans de carrière, au contact des œuvres de Monet, Soulages, Basquiat, ou Niki de Saint Phalle.    

Comment restaurer des œuvres sans trahir les artistes ?

C’est la question de la semaine.

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Le New York Times sur Benoit JANSON : The treasure behind the wall

Le trésor caché derrière un mur
(The treasure behind the wall By Vanessa Friedman)

Quelque chose dans la nouvelle boutique ‘Oscar de La Renta’ à Paris était bien différent des apparences.

La peinture à l’huile 17eme découverte derrière un mur lors de l’aménagement de la boutique Oscar de la Renta à Paris.

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Crédit photo Julien Mignot pour The New York Times

Alex Bolen, le directeur général d’Oscar de la Renta, avait prévu d’ouvrir sa nouvelle boutique à Paris cette semaine, juste à temps pour la « Fashion Week ». Il avait planifié sa présence à Paris même s’il n’avait pas programmé de défilé. Il avait tout organisé. Puis, l’été dernier, en plein milieu des rénovations, Mr Bolen reçut un appel de Nathalie Ryan, son architecte.

Il se souvient qu’elle lui a dit : “Nous avons fait une découverte”. À l’autre bout du fil, Mr. Bolen grimaça. La dernière fois qu’il avait reçu un appel de ce genre pour une boutique, leur plan consistant à déplacer un mur avait dû être abandonné à la dernière minute de peur que l’immeuble ne s’effondre. Il demanda alors de quelle découverte il s’agissait précisément.

“Vous devez venir voir,” lui dit-elle.

Alors, en ronchonnant, il prit un vol au départ de New York. Ms. Ryan l’emmena à ce qui devait être le premier étage de la boutique, où les ouvriers débarrassaient activement les détritus et, d’un geste, désigna le fond de la pièce. Mr. Bolen, dit-elle, cligna des yeux. Puis il dit: “Non, ce n’est pas vrai!”

Quelque chose avait été caché derrière la paroi et il ne s’agissait pas d’amiante. C’était la peinture à l’huile, de 3 mètres par 6, d’un marquis vêtu d’une tenue 17ème, portant une coiffe tarabiscotée, accompagné de plusieurs courtisans et entrant dans la ville de Jérusalem.

“C’est très rare et exceptionnel pour de nombreuses raisons; à savoir, sa qualité historique, son esthétisme et son format” dit Benoît Janson, spécialiste de la restauration de l’atelier Nouvelle Tendance, supervisant le travail réalisé sur l’œuvre.

Les rénovations de boutiques, comme la plupart des rénovations, prennent souvent plus de temps que prévu et les budgets sont souvent dépassés. Mais rares sont les cas où celles-ci sont retardées ou dont le budget est dépassé à cause d’une mystérieuse œuvre d’art, refaisant surface après trois cents ans.

Tous aux armes pour la course à la boutique la plus unique, la plus authentique, toujours en cours d’élaboration, pour vivre en personne, une expérience de différenciation entre le commerce de détail et le ‘e-commerce’, la découverte d’un trésor entouré de mystère, tout droit sorti d’une nouvelle de Dan Brown, dont il serait l’accessoire ultime.

Méfiez-vous de vos désirs

Mr. Bolen cherchait depuis longtemps un magasin à Paris. Au début des années 90, quand Mr de la Renta travaillait en tant que couturier chez Balmain, la société y avait une petite boutique mais cette boutique avait fermé peu après son départ en 2002 (il est décédé en 2014). En 2017, l’ancien magasin Reed Krakoff, situé rue de Marignan, (une petite rue, en diagonale de l’avenue Montaigne) qui débouche sur “L’Avenue”, le haut-lieu de la mode, était proposé à Mr. Bolen.

L’emplacement plaisait à Mr Bolen et l’immeuble, qui avait été construit au 19eme, appartenait en grande partie à une même famille, dont un certain nombre de ses membres occupaient les appartements des étages supérieurs. Cependant, il voulait une surface plus grande, et lorsque l’espace de bureaux qui occupaient la totalité du premier étage se libéra, il saisit l’occasion.

“C’était plutôt dénué de charme” dit-il. Un ancien cabinet de courtage en assurances, il y avait un faux plafond avec des lumières fluorescentes, des panneaux de particules recouvrant les murs, et des revêtements de sol industriels, dans un dédale de bureaux. “Nous savions que nous devrions tout enlever”, dit Mr Bolen. L’idée était de relier les deux niveaux par un escalier d’honneur. Le rez-de-chaussée et une partie du premier étage feraient office de boutique, et la pièce du fond servirait de salle d’exposition ou d’espace évènementiel avec d’autres espaces pour les bureaux et le stockage.

Conçu par Jeang Kim et Will Kim, d’Oro Studio, l’intérieur donnerait plus l’impression d’entrer chez des “jeunes venant juste d’emménager dans l’appartement grandiose de leur grand-mère” que dans un grand écrin tout blanc, selon Ms. Kim (qui est aussi la sœur de la co-directrice artistique d’Oscar de la Renta, Laura Kim, bien que n’ayant aucun lien de parenté avec Mr. Kim).

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Crédit photo Julien Mignot pour The New York Times

Benoît Janson, spécialiste de la restauration, travaillant sur la peinture.

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Crédit photo Julien Mignot pour The New York Times

La fin de la restauration est prévue pour mai.

Peu après le début de la démolition, une découverte a été faite. Un ouvrier, démontant le faux plafond dans la dernière pièce au premier étage, dit avoir vu quelque chose “d’étrange”.

Il s’agirait d’un plafond à caissons, sous celui qui était visible, composé de 29 caissons carrés, dont huit peints avec différents blasons et un losange central. Datant du milieu du 19ème, ceux-ci étaient bien conservés car ils étaient encastrés dans le plafond à caissons. Pourtant, bien qu’il s’agisse d’une découverte intéressante, ce n’était pas une première pour un immeuble de cette époque. C’est lorsque les ouvriers commencèrent à retirer les panneaux de particules sur le côté et qu’un morceau du mur se détacha, que les choses devinrent intéressantes.

“Oh ! mon Dieu, c’était — wow,” dit Ms. Ryan qui fut l’architecte d’intérieur de Dior pendant plusieurs années et qui a monté sa propre entreprise, Kirei Studio, en 2010. Derrière le mur, une seule peinture, assombrie par le temps, d’un bout à l’autre du panneau. “Parfois lorsque vous travaillez pour des châteaux, vous trouvez des choses, mais souvent il s’agit d’une cheminée cachée, ou en Italie, peut-être d’une fresque” dit Ms. Ryan. “Mais dans un appartement? Dans une boutique? Elle n’avait jamais rien vu de tel.

“Tout le monde a paniqué,” dit Ms. Kim. “C’était comme découvrir une momie. J’ai aussitôt éteint mon téléphone et regardé. Rien de tel ne m’était arrivé dans mon travail auparavant “.

La démolition fut interrompue pour comprendre ce qu’était cette peinture et comment elle s’était retrouvée dans ce qui allait être une boutique. Voyant les aristocrates à cheval et la mosquée sur le tableau, Mr Bolen raconte que des visions de croisés et de Templiers se mirent à danser dans sa tête. “Je pense que j’ai vu trop de films” dit-il.

L’énigme

Dans la théorie des six degrés de séparation, c’en était une bonne : la belle-mère de Mr. Bolen, Annette de la Renta, avait un cousin (par sa mère, Jane Engelhard) qui avait épousé une La Rochefoucauld, descendante de cette illustre famille de l’aristocratie française. Il s’avéra qu’un des membres de cette famille vivait de l’autre côté de la rue de la future boutique de la Renta.

Donc, lorsque la peinture fut découverte et qu’il devint clair que Mr. Bolen devrait parler aux propriétaires de l’immeuble qu’il n’avait jamais rencontrés, (le bail avait été négocié par un agent immobilier), son parent put faire les présentations. Il fut recommandé à un autre La Rochefoucauld, qui travaillait au Louvre, de se mettre en contact avec un historien d’art : Stéphane Pinta, du Cabinet Turquin, expert en anciens maîtres de la peinture. Mr. Pinta établit qu’il s’agissait d’une peinture à l’huile réalisée en 1674 par Arnould de Vuez, un peintre ayant travaillé avec Charles Le Brun, le premier peintre de Louis XIV et décorateur d’intérieur du Château de Versailles. Après avoir travaillé avec Le Brun, Arnould de Vuez, connu pour son implication dans les duels d’honneur, avait été forcé de quitter la France et contraint à se réfugier à Constantinople.

Mr. Pinta retrouva le tableau dans une plaque qui avait été reproduite dans un livre des années 1900 “Odyssée d’un ambassadeur : Les voyages du marquis de Nointel, 1670-1680” d’Albert Vandal, qui racontait l’histoire des voyages de Charles-Marie-François Olier, marquis de Nointel et d’Angervilliers, ambassadeur de Louis XIV à la cour ottomane. À la Page 129, apparaît une héliogravure de l’œuvre représentant l’arrivée en grande pompe du marquis de Nointel à Jérusalem, celle de la peinture du mur.

Mais personne ne savait comment celle-ci avait fini collée sur ce mur, ni pourquoi elle avait été recouverte. Certaines hypothèses pourraient laisser croire que cela s’est passé au cours de la Deuxième Guerre Mondiale, étant donné la situation. Ce pourrait être un genre de “brouillard de guerre” dit Mr. Bolen.

Ce que tout le monde savait, c’est qu’il serait dangereux de déplacer l’œuvre à cause de la manière dont celle-ci avait été attachée au mur: doublée d’une gaze sur laquelle elle avait été collée. Et Mr Bolen, raconte que sa femme Eliza l’avait averti “Si tu bouges cette peinture, tu auras 100 ans de malheur”. Il s’est dit qu’elle avait probablement raison.

Le prochain mystère

Cela étant, Mr. Bolen parvint à un accord avec les propriétaires de l’immeuble: il prendrait à sa charge la restauration de l’œuvre s’ils acceptaient qu’elle demeurât dans la boutique pendant le temps où il en serait locataire (le bail initial était de 10 ans). Mr. Janson se mit au travail fin novembre.

“L’œuvre était très sombre à cause du vernis et des anciens repeints (d’anciennes restaurations) qui la recouvraient”, dit Mr. Janson, restaurateur de tableaux à Paris.

Equipe de restaurateurs passant un tampon sur le vernis pour retrouver les couleurs d’origine

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Crédit photo Julien Mignot pour The New York Times

Pendant les deux derniers mois, des équipes de trois à cinq personnes, ont soigneusement dégagé une partie du vernis afin de retrouver les couleurs d’origine. Ils espèrent en avoir terminé d’ici le mois de mai, dit Mr Janson, restaurateur de tableaux à Paris, bien que Mr. Bolen pense que le travail sera fini avant. Petit à petit, les détails confirmant la provenance de la peinture, ont commencé à apparaître: la mosquée, le mur occidental (mur des lamentations), le brocart sophistiqué du visiteur français.

Après cette découverte, il fallut repenser l’intérieur et procéder à des changements pratiques. Ms. Kim fréquenta les salles de ventes pour acquérir des meubles de différentes époques liant le passé au présent, y compris des chaises de Marcel Breuer et des pièces des collections de Pierre Bergé.

“Nous n’allons pas mettre un mur de vêtements devant “dit Ms. Ryan. La sécurité sera renforcée et les dix fenêtres du premier étage, qui vont du sol au plafond, seront équipées et traitées. L’objectif est d’ouvrir avant l’été.

Entre temps, Mr. Bolen n’a pas abandonné ses recherches. “Je dois trouver un expert en héraldique pour examiner le plafond” dit-il, passant au crible les photographies et pointant quelques blasons. “Celui-ci a trois étoiles, une couronne royale — et un poisson?”

Il en regarda un autre. “Que signifient ces trois étoiles?” se demandait-il. “Je ne sais pas. Mais je pense que cela mériterait qu’on le sache.” Il avait l’air tout excité.

Les clients ayant un fort penchant pour les théories conspirationnistes et un goût pour l’histoire pourraient l’être tout autant.

Cliquez ici pour voir l’article original du journal le New York Times.

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Art Insider : Benoit Janson, profession restaurateur d’œuvres d’art à Paris

Depuis quand exercez-vous le métier de restaurateur d’œuvres d’art ?

J’ai commencé la restauration à 19 ans, en 1978, après que mes parents, qui étaient artistes peintres, m’ont demandé de choisir une voie. Je n’ai passé aucun diplôme d’État. J’ai été formé auprès d’un restaurateur, Édouard Déchelette, rentoileur au Louvre et professeur à l’Institut français de restauration des œuvres d’art (IFROA) ouvert la même année.

Vous ne souhaitiez pas être artiste comme vos parents ?

Non. Alors que je suis pour ainsi dire né dans un pot de peinture ! Quand j’étais enfant, mon père était en relation avec de nombreux intellectuels comme Roland Barthes, André Pieyre de Mandiargues, Patrick Waldberg… J’étais entouré de peintures et de livres. Dès l’âge de 6 ans, je feuilletais les livres et avais décrété que mon peintre préféré était Victor Brauner. Mais je n’étais pas brillant dans les études. Quand mes parents m’ont demandé ce que je souhaitais faire, j’ai immédiatement répondu : « de la restauration ». C’était clair pour moi. Mon père, lui, avait une âme de créateur. Il avait plus d’imagination, menait une réflexion intérieure et pouvait mettre en forme une idée dans un tableau. Moi, je n’ai pas cette capacité. J’étais davantage dans l’observation et la décomposition des matériaux. C’est d’ailleurs la première chose qui m’a attiré quand j’ai débuté dans la restauration : être dans la recherche de la véracité de l’artiste et de sa technique. Je ne suis pas là pour le trahir, ni pour me mettre dans sa peau. Un restaurateur ne doit pas apporter quelque chose, mais se fondre et respecter sa création. J’ai eu la chance de rencontrer un restaurateur généreux qui voulait aider et partager son savoir-faire. Il me faisait confiance, m’accordait beaucoup de liberté, et cela m’a donné de l’assurance.

Quand avez-vous ouvert votre propre atelier ?

En 1989, j’ai progressivement pris mon indépendance tout en continuant à travailler à l’atelier avec Édouard. J’avais un studio à Montparnasse, meublé d’un grand lit et de deux chevalets. Une stagiaire venait y travailler le matin. Ma formation aux côtés d’Édouard concernait plutôt la peinture des XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Parallèlement, j’étais intéressé par la peinture moderne et contemporaine. En 1978, les formations universitaires étaient assez restrictives dans ce domaine, davantage axées sur la peinture ancienne. Il manquait une branche moderne et contemporaine.

En quoi la restauration de peinture ancienne diffère-t- elle de celle de l’art moderne ou contemporain ?

Nous avions plus de recul scientifique quant aux matériaux et aux œuvres anciennes, alors que la peinture moderne et contemporaine usait de matériaux nouveaux que nous ne connaissions pas tellement. On se lançait dans une sorte d’aventure. Ma formation, classique et scientifique, m’a donné une rigueur, une déontologie et une éthique pour la réalisation de la restauration des oeuvres modernes et contemporaines. Si on généralise, un tableau ancien repose sur une stratigraphie et des matériaux toujours plus ou moins semblables malgré les évolutions techniques. Tandis qu’une oeuvre moderne ou contemporaine est constituée de matériaux industriels récents aussi variés que surprenants. En ce moment, nous avons deux tableaux de Georges Mathieu de 1970 et 1979 dans l’atelier. Prenons l’exemple de ces œuvres, dont l’aspect de surface est mat. Si, par hasard, vous aviez l’intention de le faire « beau », cela sous-entendrait passer un coup de vernis pour lui donner plus d’éclat. Ça voudrait dire endommager le tableau et trahir l’intention initiale de l’artiste. En outre, le hasard joue également pour une bonne part, car il s’agit d’une peinture spontanée et gestuelle. Nous ne pouvons pas reproduire cette gestualité en restauration de la même manière que l’artiste, mais on doit la prendre en considération. Plusieurs facteurs entrent en compte dans la restauration : la technique utilisée par l’artiste, les matériaux employés, l’environnement de conservation de l’œuvre (déplacement, hygrométrie, etc.) ainsi que les altérations qui en découlent. « Un restaurateur ne doit pas apporter quelque chose, mais se fondre et respecter sa création.»

Quels sont les types d’oeuvres et les dommages auxquels vous êtes le plus fréquemment confronté ?

Je me considère comme un « généraliste spécialisé ». Aujourd’hui, je traite en majorité de l’art moderne et contemporain, mais nous continuons à traiter des tableaux anciens car c’est mon coeur d’apprentissage. Nous travaillons aussi bien la peinture à huile, acrylique, vinylique, glycérophtalique, aérographique, que des objets ou sculptures en résine, bois, céramique, métal, papier, etc. Notre expérience dans toutes sortes de supports nous permet d’aborder pratiquement tout. J’ai créé l’atelier pour échanger et travailler en équipe et ne conçois pas le métier de restaurateur comme un artisan isolé, devant son chevalet, gardant ses secrets. Chaque membre de l’équipe arrive avec sa personnalité, sa spécialité, et c’est là tout l’intérêt. On peut dialoguer et on progresse ainsi ensemble. Si je sens que nous n’avons pas la capacité de réaliser une intervention, je n’hésite pas à collaborer avec des spécialistes. Notre métier consiste à rendre une oeuvre sans que l’on voie notre intervention à l’oeil nu. Bien que je ne la cache pas, puisque je transmets des rapports d’expertise, de conditions, des constats d’état, qui expliquent la méthodologie de l’intervention et le résultat avant/après.

« Tel un espion, je rentrais dans les ateliers et notais tous les produits qu’ils utilisaient. »

Si l’on imagine aujourd’hui la restauration d’une oeuvre contemporaine, souvent plus bricolée, en tout cas moins traditionnelle que la peinture ancienne dans sa fabrication, serait-il faux de penser que cette oeuvre sera moins facile à restaurer ?

Il est vrai que les artistes sont en général davantage intéressés par le processus de création et le rendu final de leurs œuvres que par la composition des matériaux employés. Je suppose qu’ils ne pensent pas forcément à la pérennité de leurs œuvres. Ce sont les restaurateurs qui se rendent généralement compte que les matériaux ne sont pas du tout adaptés. Il y a effectivement cet aspect « bricolage », même si je n’aime pas ce terme. Avec l’expérience de tous les matériaux que nous utilisons, nous apprenons à les mélanger entre eux et à les incorporer afin d’obtenir un résultat cohérent. D’un point de vue scientifique, il est vrai que nous avons moins de recul. On ne sait pas à quoi ressemblera notre travail d’ici 50 ou 100 ans (c’est la durée estimée d’une restauration). Au-delà, notre restauration influencera- t-elle la conservation d’une œuvre ou sont-ce les matériaux de l’artiste qui continueront à mal évoluer ?

Quels sont les matériaux de base d’une restauration ?

En ce qui concerne la retouche et la réintégration sur des tableaux, le pigment est le point de départ. C’est la base de toutes les couleurs. Soit nous les mélangeons avec les liants adaptés, soit nous achetons les produits assemblés dans le commerce. Dans tous les cas, nous sommes guidés par une éthique et une déontologie, c’est-à-dire que nous essayons d’utiliser des matériaux qui soient réversibles dans le temps, pouvant être enlevés du jour au lendemain sans altérer la peinture originale. Quant à l’art contemporain, nous sommes parfois obligés d’utiliser des produits dont nous ne connaissons pas la fiabilité à long terme et qui pourront peut-être poser quelques problèmes. En revanche, ces produits nous permettent d’arriver à un résultat de bonne qualité en termes esthétiques, ce qui nous est le plus fréquemment demandé pour les œuvres modernes et contemporaines.

On vous connaît pour avoir, entre autres, restauré de nombreuses œuvres de la Figuration narrative…

Oui, il est vrai que je me suis occupé d’un certain nombre de pièces issues de la Figuration narrative au début des années 1980. Comme j’allais dans les galeries, je voyais émerger des artistes. Typiquement, lorsque je voyais un travail comme celui de Peter Klasen, je me disais qu’on allait galérer à restaurer ce genre d’oeuvres ! Parce qu’elles relèvent d’une technique inhabituelle, qui est l’aérographe. En cela, je me considère comme un avant-gardiste du moderne et contemporain, car je suis allé voir tous les artistes de la Figuration narrative – Adami, Monory et consorts –, afin d’essayer de comprendre leur façon de peindre. Tel un espion, je rentrais dans les ateliers et notais tous les produits qu’ils utilisaient. Nous avons fini par collaborer, car ils se sont aperçus que je m’intéressais à leur travail. Eux avaient la capacité de créer, mais pas tous celle de restaurer. Je suis devenu leur restaurateur attitré. Idem pour Soulages. Mon atelier, et notamment ma collaboratrice Julie, a restauré plus de cent de ses œuvres des années 1950. Nous travaillons également beaucoup avec le comité Niki de Saint Phalle et avons vu passer de superbes œuvres anciennes que l’on compte par centaines également.

Quels sont les profils des clients qui viennent vous déposer des œuvres à restaurer ?

Je travaille beaucoup avec les marchands, les ventes publiques, les institutions à l’origine de tous les tableaux qui sont dans le commerce et dans les musées. Ils sont évidemment aux premières loges pour sortir des chefs-d’oeuvre. Je travaille ensuite directement avec les collectionneurs qui ont envie que l’on se préoccupe de la conservation de leurs oeuvres, ainsi que par le passé avec les musées, principalement ceux de la Ville de Paris. J’étais certainement le seul non diplômé qui travaillait pour les musées ! Aujourd’hui, il serait impossible d’exercer sans le pedigree requis du parfait restaurateur et conservateur. Finalement, ma formation – c’est-à-dire l’expérience – n’est pas si mauvaise ! J’ai la chance d’avoir pu travailler avec les musées et sur les plus beaux tableaux qui existent au monde. Et ça continue. C’est le travail d’une équipe. Tout ça, c’est aussi grâce à mes collaborateurs.

La restauration a forcément un coût. Est-ce qu’on n’a pas tendance à retarder l’échéance ?

En effet, la restauration n’est pas une nécessité. Un tableau peut rester dans son état pendant 10, 20 ou 30 ans sans qu’on intervienne. S’il s’agit d’un problème structurel, un caractère d’urgence se pose qu’il ne faut pas négliger. Les collectionneurs qui sont de vrais passionnés considèrent qu’il y a nécessité, quoi qu’il en coûte, enfin presque. Le prix d’une restauration est toujours une condition sine qua non. Mais généralement, ils considèrent qu’il faut conserver.

Quelle est la fourchette de prix d’une restauration ?

Le premier prix de restauration ici démarre à 230 €, un tarif forfaitaire pour une petite intervention qui ne demande pas beaucoup de temps. Certaines restaurations peuvent atteindre des sommes plus élevées, de 1 000 à 50 000 €. Tout dépend du nombre d’heures passées à intervenir, de la complexité de l’intervention, et il est parfois assez difficile de les quantifier. Mais je fais partie de ces restaurateurs qui, sauf problème exceptionnel, modifient rarement leur devis.

Êtes-vous collectionneur ?

Oui, c’est mon vice ! Je collectionne depuis l’âge de 16 ans. J’ai de nombreux tableaux et sculptures, plutôt modernes et contemporains. Dans les années 1978-1980, adolescent, j’allais en permanence dans les galeries pour regarder les oeuvres, par plaisir personnel. Les marchands voyaient que j’étais passionné et me laissaient payer en plusieurs fois. J’ai de nombreux tableaux de mon père, Marc Janson. Comme il a toujours tout vendu ce qu’il a peint, j’en ai racheté dans les salles de ventes ou auprès de collectionneurs pour me constituer une collection des plus représentatives. Je trouve que c’est un très bon peintre, autant techniquement qu’esthétiquement. J’ai également eu le plaisir d’acquérir des oeuvres de nombreux artistes. Je suis très ouvert à de nombreuses formes et suis de plus en plus éclectique dans mes coups de coeur.